Entretien avec David Carita (Directeur du Musée Franconie)
Ajouté le 14 Août 2013
David Carita est le directeur du Musée départemental Franconie. Il nous accorde une interview longue et passionnante pour vous faire découvrir les coulisses de ce musée emblématique de Cayenne. Vous en saurez plus sur ce lieu unique : de l'origine du musée aux méthodes de conservation des collections, en passant par le projet de reconversion de l'hôpital Jean-Martial en maison de la culture et des mémoires de Guyane.
Infos pratiques pour visiter le musée
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Bon à savoir : Ouverture gratuite le dernier vendredi du mois de 18h à 21h
Tarif normal 3€ / Tarif réduit 2€
Site web du musée Franconie
Escapade Carbet : Quelle est l’origine du musée départemental Franconie ?
David Carita : Le musée a pour origine les expositions internationales. A l’époque, chaque colonie doit instaurer un comité composé de personnalités locales : producteurs, commerçants et scientifiques pour présenter le territoire. Lors de l’exposition de 1900, Eugènes Bassières, créateur du jardin botanique, sera nommé par le gouverneur Emile Merwart, directeur de ce comité.
Le gouverneur a en effet l’idée de collecter et de ramener en Guyane toutes les collections (ou presque) qui ont été accumulées lors des expositions de Paris pour ouvrir un musée qui présenterait la Guyane.
Y a-t-il des parties du musée qui dateraient du temps de la famille Franconie qui habitait dans ce musée ?
Oui, mais il faut savoir que ce musée n’est pas la première institution culturelle ouverte en Guyane. La bibliothèque Franconie a été inaugurée avant.
Alexandre Franconie est un commerçant, très philanthrope, qui avait des idées assez progressistes pour son époque. En effet, sa femme était une fille d’esclave. Toute sa vie il va récolter tout ce qui lui tombe sous la main comme livres ou journaux qu’il accumulera dans sa bibliothèque personnelle. A sa mort, à la fin du 19eme siècle, il va léguer sa bibliothèque au gouvernement local, à charge pour ce dernier de la mettre à disposition du public. En 1885, le gouverneur achète à Gustave, le fils d’Alexandre Franconie, le bâtiment familial, et ouvre la bibliothèque dans l’enceinte de ce bâtiment
Dans la bibliothèque il y avait aussi des objets appartenant à la famille Franconie. Ils feront ensuite partie du futur musée départemental, mais il est encore difficile aujourd'hui d’en identifier les pièces. Exception faite du portrait du père Franconie, qui se trouve ici mais qui est en trop mauvais état pour être exposé.
En revanche, la Bibliothèque est bien celle de Gustave Franconie et on sait quels ouvrages appartenaient à Alexandre Franconie. Ces ouvrages sont accessibles sur demande, parce qu’ils font partie du fond patrimoniale de la bibliothèque. La plupart des ouvrages sont aussi accessibles sur le web (LIEN ICI).
Comment est organisé le musée ? Qui s’en charge ?
Depuis 1947, le musée appartient au Conseil Général et en est aujourd’hui un service de cette collectivité. Il est labélisé musée de France. Nous travaillons dans un cadre qui est celui du code du patrimoine, reconnu par le ministère de la culture qui a un certain nombre d’exigences.
Quelle est la particularité de ce musée ?
Le Musée Départemental est le plus vieux musée de Guyane. Jusqu’aux années 80, c’était l’unique musée du département. C’était donc le seul musée que la plupart des guyanais connaissaient. Dans l’ensemble, les Guyanais y sont attachés. Petits ou grands, ils l’ont visités et (ou) revisités. Cela donne au musée un fort lien avec la population.
Dans nos collections, nous avons des collections très hétéroclites. On couvre à peu près tous les champs de tous les domaines, que l’on peut trouver dans d’autres musées ; histoire, beaux-arts, ethnologies, archéologie, histoire naturelle etc.. Il y a peu de musées qui regroupent tout cela.
Puis il y a le décor. La présentation du musée lui confère un côté « cabinet de découverte » avec ses meubles en bois et autres objets dans les vitrines et sur les murs. Il faut imaginer qu’au départ, tous les objets étaient mis en exposition dans seulement deux ou trois salles, tout était serré. Cela crée une ambiance de plus en plus rare pour un musée.
Quelle partie du musée intéresse le plus les enfants ? Et les adultes ?
Etre hétéroclite permet d’attirer un large public, que ça soit les plus jeunes, souvent attirés par l’aspect naturel – les animaux, les insectes – puis les visiteurs un peu plus exigeants, plus curieux se retrouveront davantage dans les parties consacrées à l’histoire.
Les touristes apprécient aussi les animaux qu’ils ne verront jamais en forêt – même s’ils les voient au zoo.
Quelle est la plus forte période d’affluence ? Quel est le profil type du visiteur actuel ?
La période à laquelle le musée est le plus visité est Juillet - Août. Le public du musée est assez varié : des guyanais, mais surtout des touristes durant la période estivale. Ce sont souvent des familles ou amis de résidents en visite dans le département.
Ensuite, ce sont les groupes de classes qui représentent le reste de l’année, un tiers du public. Ils sont plus fréquents en semaine et en matinée.
Prévoyez-vous des activités pour le public jeune ?
Pour le public scolaire on répond aux demandes des enseignants, on leur propose des thématiques de visites en fonction des enseignements qu’ils souhaitent apporter, pour appuyer les cours de classes. En Juillet et Août on propose aussi des ateliers pour les jeunes des centres de loisirs.
Le conseil général a mis en place des dispositifs pour inciter les jeunes (15-25 ans) à visiter le musée en adaptant ses heures d’ouvertures aux temps de loisir du public.
Régulièrement, le musée propose des jeux de parcours à l’intérieur du musée, adaptés à tous âges, une façon à redécouvrir en famille les collections.
Que contiennent ces ateliers ?
Ce sont des ateliers orientés vers les aspects naturalistes. Ce mois d’Août on aura un atelier orienté sur les insectes et un autre sur les oiseaux. Ils sont très souvent menés en partenariat avec les associations naturalistes conventionnées, comme KWATA, la SEPANGUY, le GEPOG, ainsi que l’INRAP, (Institution Nationale de Recherche Archéologique Préventive), et le musée des cultures Guyanaises. Tous ces partenaires nous permettent de développer des actions pédagogiques tout au long de l’année.
Le musée est ouvert gratuitement le dernier vendredi du mois de 18h à 21h afin de proposer à la population des horaires de visite nocturne. Des conférences sont en général proposées durant ces soirées.
Quelles sont les pièces maitresses du musée ?
Nous n’avons pas vraiment
une pièce maitresse, mais dans certains domaines, comme celui de l’histoire naturelle, il y en a quelques-unes qui sortent du lot : la collection d’insectes du père Yves Barbotin. Il a vécu en Guyane à partir des années 30 jusque dans les années 90, et il a accumulé tout le long de sa vie une collection d’insectes, dont une grande partie de cette collection présentée au musée. C’est un élément clef remarquable.
Dans d’autres domaines, on a en archéologie, par exemple, des urnes funéraires en céramique de la culture Aristée qui ont été retrouvées à Ouanary, remarquables par leur taille et leurs décors.
On a des objets plus isolés qui sortent de l’ordinaire : comme une canne datant du 18ème siècle, qui a été offerte par Louis XVIII à un guide amérindien, lors d’une expédition sur Sinnamary, classée objet historique. La cloche du fort Cépérou aussi a pris place dans notre musée suite à l’incendie de 1888 qui a ravagé Cayenne. Nous avons également le « palmier qui se dédoublait ». Ce dernier n’a rien d’exceptionnel, mais il a eu sa notoriété et sa célébrité il fut un temps. Ces objets sont visibles en permanence dans le musée.
En matière d’histoire, on a aussi la maquette de Cayenne en 1789, faite par Yanick Leroux, enseignant archéologue à l’occasion du bicentenaire. Cette maquette montre la petitesse de Cayenne à cette époque et permet de se rendre compte de l’évolution de la ville depuis.
Nous possédons également des éléments sur le bagne. Francis Lagrange, un ancien bagnard, relégué, puis transporté, est enfin libre en 1942 mais reste vivre en Guyane. Il va produire à la demande de Raymond Vaudé, des peintures afin d’illustrer, dans son restaurant, des moments de vie au bagne. Ainsi, 26 tableaux seront peints en deux séries. Celle commandée par Vaudé a ensuite été vendue à un collectionneur dans les années 60-70, rachetée par le CNES dans les années 75 et donnée au conseil général. La seconde a été rachetée par des Américains de passage en Guyane. La première série est présentée depuis au musée, elle permet de résumer la vie au bagne, dès l’arrivée des bagnards jusqu’à leur départ, signifiant mort ou la libération. Ses tableaux sont souvent assez crus, ou humoristiques, mais ils marquent quand même beaucoup les esprits. Beaucoup de liens sont fait avec les lieux, car on connait Saint Laurent du Maroni entre autres.
Le temps a souvent tendance à détériorer les pièces. Comment les conservez-vous ? Qui rénove les pièces ? Est-ce que toutes les pièces sont exposées ?
On n’expose pas toutes nos pièces, principalement pour des raisons de préservation. Les collections du musée sont anciennes, et l’éloignement géographique de la Guyane avec la France ne favorise pas la restauration des objets.
Puis, il a des procédures, des savoirs faire, et des interventions qui nécessitent des professionnels reconnus ; on ne peut pas restaurer des œuvres et objets anciens comme on restaurerait un meuble ou une céramique cassée chez soi. Malheureusement, ces professionnels, il n'y en a pas en Guyane, que ça soit dans le domaine de la taxidermie, (la naturalisation des animaux), ou la restauration des œuvre types beaux-arts, archéologie, céramiques archéologiques, tableaux, maquettes ou même sculptures.
Comme il est impossible pour nous d’intervenir sur ces objets, nous pratiquons la conservation préventive, donc tous les gestes nécessaires pour conserver au mieux un objet sans intervenir directement dessus.
L’une des interventions que nous faisons régulièrement, c’est le dépoussiérage. De façon hebdomadaire – dans notre cas tous les mardis, jour de fermeture du musée – nous procédons à un dépoussiérage complet, qui nous permet ainsi de vérifier qu’il n’y a pas de problème. C’est une intervention indispensable.
S’il y a vraiment un problème : comme un objet attaqué par des insectes, par exemple, nous intervenons directement nous-même car c’est un cas urgent et grave. Les insectes n’attendront pas l’arrivée des spécialistes. Mais nous le faisons avec des gestes les moins interventionnistes que possible, qui n’aggraveront donc pas la situation, ni la nature de l’objet.
Il est possible d’utiliser un insecticide, mais nous privilégions « le passage au congélateur ». En effet, le froid permet de tuer toutes les bêtes potentiellement présentes dans les objets, notamment les collections d’insectes – car les insectes morts attirent d’autres insectes friands des abdomens. Toute la collection d’insectes est déjà passée au congélateur.
Et ça marche !
Bien sûr, il faut faire attention en termes de manipulation. En suivant les bons gestes, sans utiliser d’insecticide, on traite de façon correcte toute notre collection. Il arrive que la pièce à traiter soit un peu plus grosse, comme un jaguar. Mais sinon, pratiquement toutes les pièces d’histoire naturelle sont passées au congélateur sauf cas exceptionnel où le froid pourrait endommager l’objet plus qu’il ne l’aurait traité, comme les tableaux. Mettre des tableaux au congélateur pourrait créer des problèmes de tension entre la couche de peinture, la toile etc.
Dans ces conditions, on traite les tableaux par anoxie. C’est-à-dire que nous façonnons nous même des poches étanches munies d’absorbeurs d’oxygène. Ces derniers vont couper l’oxygène des poches et supprimer l’oxygène des insectes ou autres nuisibles qui pourraient s’y trouver
Etes-vous nombreux à manipuler cette intervention d’anoxie ?
En fait tous les agents du musée sont formés pour faire cela. Nous sommes en nombre de dix, tous très polyvalents. Les agents qui sont à l’accueil et renseignent les visiteurs sont aussi ceux qui font les visites guidées, qui s’occupent de traiter et entretenir les collections chaque mardi, qui s’occupent des poches d’anoxie, et qui sont chargés des inventaires et du travail de documentation des collections.
Le but est que nos agents soient capables d’expliquer comment on dépoussière les insectes, comment on fait l’inventaire des collections, comment parler d’un tableau et de la restauration du tableau, et qu’ils soient capables de parler de l’envers du décor et pas seulement de ce que représente le tableau sur le terme historique.
Et pour les objets qui ne sont pas du tout en bon état ?
Ceux-là sont analysés par des restaurateurs qui viennent en mission de France et d’ailleurs, pour faire des séries de constat d’état. L’étape suivante est de rapidement faire des cahiers de charges et des plans de restaurations sur plusieurs années. Une pièce importante du musée sera bien sûr traitée en priorité.
Quel est le planning d’interventions des restaurateurs ?
On est au début de cette procédure, mais jusqu’à présent, on a fait ce travail pour la totalité des peintures. Une pré-étude est en cours pour l’histoire naturelle. On recevra ces techniciens de façons régulières pour qu’ils passent en revue la totalité de nos collections. Les missions seront annuelles.
Il y a ce projet de faire de l’ancien hôpital Jean Martial un musée. Est-ce qu’il sera interconnecté avec le musée Franconie ? Que va-t-on y trouver ?
« La Maison des Cultures et des Mémoires de Guyane », c’est le nom qui est choisi aujourd'hui pour cette future grande institution. Cette « MCMG » réunira :
- le musée Franconie,
- le musée des cultures guyanaises,
- les archives départementales – qui seront les archives de la collectivité unique à terme, les archives de la collectivité
- le service des langues et des patrimoines de Guyane – qui est un service de la région
- et aussi les collections archéologiques - aujourd'hui conservées par les services de l’État en Guyane.
- Un pôle documentaire
Nous prévoyons aussi le développement d’un coin cinémathèque et un pôle plurilinguisme (qui sera une institution chargée de valoriser les langues en Guyane).
Deux sites seront concernés par cette MCMG ; le premier sera l’ancien hôpital Jean Martial, et se consacrera plus particulièrement au public. On y trouvera les salles permanentes, les salles d’expositions temporaires, la partie cinémathèque et le pôle documentaire.
Le deuxième site sera le Moulin à Vent de Rémire-Montjoly, situé juste derrière l’édifice de Guyane Première. Il sera construit un centre destiné à la conservation, dans lequel on retrouvera toutes les archives de Guyane, mais aussi toutes les collections des musées, (musée départemental actuel, musée des cultures guyanaises, etc), ainsi que des collections archéologiques. Ce lieu de conservation aura aussi une fonction de diffusion, rendant les archives accessibles à tous. Les collections pourront être aussi accessibles aux chercheurs. Des ateliers de restauration seront mis à disposition, que ce soit pour les archives ou pour les objets des musées ou archéologiques.
Une institution, deux sites.
Faites-vous des échanges avec d’autres musées ultramarins?
Ce sont surtout des échanges d’informations car il n’est pas du tout facile d’échanger des objets. Les normes obligatoires à respecter et le coût de ces échanges les rendent rares. Jusqu’à présent, le musée Franconie n’a jamais fait de prêt à d’autres musées non pas parce qu’on ne le veut pas mais tout simplement parce qu'on n’a jamais été sollicité.
Néanmoins, nous avons des contacts avec des collègues aux Antilles, même à Tahiti, qui font appellent à nous pour des questions de conservations.
Un petit mot pour les visiteurs d’Escapade Carbet ?
Je pense que le musée départemental est une très bonne introduction pour visiter la Guyane donc j’encourage tous ceux qui profitent des sites naturels accessibles aux carbets, de venir au musée pour voir un petit bout de nature qu’ils relaieront sur le site.
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